Dits et Ecrits, 1974
« Prisons et asiles dans le mécanisme du pouvoir. » Entretien en Italie
M. D'Eramo: ...D’une certaine façon, vos livres se créent un public aux frontières de tous ces domaines, un public à part, « à la Foucault ». Aussi, à qui vous adressez-vous?
MF: Comme tous ceux qui écrivent, je suis un malade du langage. Ma maladie personnelle, c’est que je ne sais pas me servir du langage pour communiquer. De plus, je n’ai ni le talent ni le génie nécessaires pour fabriquer des oeuvres d’art avec ce que j’écris. Alors je fabrique --- j’allais dire des machines, mais ce serait trop à la Deleuze --- des instruments, des ustensiles, des armes. Je voudrais que mes livres soient une sorte de tool-box dans lequel les autre puissent aller fouiller pour y trouver un outil avec lequel ils pourraient faire ce que bon leur semble, dans leur domaine. ....
Les Mots et les Choses, au fond, est un livre qui est beaucoup lu, mais peu compris. Il s’addressait aux historiens des sciences et aux scientifiques, c’était un livre pour deux mille personnes. Il a été lu par beaucoup plus de gens, tant pis. Mais, à certains scientifiques comme Jacob, le biologiste pris Nobel, il a servi. Jacob a écrit La Logique du vivant; il y avait des chapitres sur l’histoire de la biologie, sur le fonctionnement du discours biologique, sur la pratique biologique, et il m’a dit qu’il s’est servi de mon livre. Le petit volume que je voudrais écrire sur les systèmes disciplinaires, j'aimerais qu'il puisse servir à un éducateur, à un gardien, à un magistrat, à un objecteur de conscience. Je n’écris pas pour un public, j’écris pour des utilisateurs, non pas pour des lecteurs.
Dits et Ecrits I, 1954-1975. p.1392-1393 (Gallimard, 2001)